La littérature de l'imaginaire et la politique

Lorsque l'on parle de science-fiction, de fantasy ou de fantastique, certains noms viennent immédiatement à l'esprit : Jules Verne, Isaac Asimov, John Ronald Reuel Tolkien, Herbert George Wells. Leur influence est telle que beaucoup sont passés dans la littérature classique au point parfois d'être dépouillés de leur étiquette.

Parfois on connaît d'autres auteurs classiques de l'imaginaire ; René Barjavel, Robert Ervin Howard ou encore Sir Arthur Conan Doyle, Ray Bradbury, Philip Kindred Dick, Aldous Huxley, Howard Phillips Lovecraft, Mary Shelley, Bram Stoker.

Moins souvent pense-t-on à d'autres classiques parfois plus surprenants, comme Chrétien de Troyes, Robert Merle, Jack London, Mark Twain, Vladimir Nabokov, George Orwell, Edgar Allan Poe, Franz Kafka ou Oscar Wilde.

Et trop souvent ignore-t-on des valeurs sûres comme Clive Barker, Tim Burton, Michael Ende, Jasper Fforde, Neil Gaiman, Stephen King, Richard Matheson, Philip Pullman, Terry Pratchett.

Lister ces auteurs devient vite fastidieux (et inutile). La littérature de l'imaginaire explore l'impossible. L'imagination devenant la seule limite des écrivains, on constate rapidement que cette frontière ne cesse d'être repoussée.

Et l'amateur y retrouve parfois une peinture surprenant de notre monde.

Une forme de littérature engagée

La production de l'imaginaire est énorme. Les auteurs sont légion, les sagas s'étalent sur de nombreux tomes, parfois la qualité de l'écriture n'est pas bien élevée et, admettons-le, les genres qui la composent sont considérés comme mineurs et souvent méprisés. Comme le polar avant sa reconnaissance.

Pourtant, derrière une image de littérature légère parfois un poil réactionnaire, parmi une profusion d'écrits oubliables (en cela, elle ne se démarque pas de ses consœurs littéraires), on trouve très souvent des auteurs brillants. Le nombre de doctorants et de spécialistes dans des domaines de pointe est surprenant. Qui plus est, des auteurs engagés.

Ainsi, Léon Trotski, Anatole France et Paul Vaillant-Couturier préfacèrent diverses éditions du livre Le talon de fer de Jack London, où l'auteur décrit une révolution socialiste écrasée dans le sang. Personne ne peut nier l'engagement politique de Mark Twain ou de George Orwell. La critique de la religion dans À la croisée des mondes de Philip Pullman a suffisamment fait couler d'encre, spécialement lors de son adaptation cinématographique édulcorée. Une lecture approfondie de Barjavel révèle de surprenantes réflexions sur beaucoup de sujets encore d'actualité. Et comment oublier la dimension humaine et humaniste de Robert Merle, notamment dans Malevil ? Difficile aussi de passer à côté de La métamorphose de Franz Kafka, passée dans l'imaginaire collectif.

À l'inverse, on peut relever le christianisme messianique galopant de Tolkien dans Le seigneur des anneaux ou le fascisme nauséabond et l'anticommunisme primaire de Robert Anson Heinlein dans Étoiles, garde-à-vous !

De manière plus générale, et à ce titre la littérature de l'imaginaire rejoint une fois de plus le polar, il s'agit d'un terreau fertile pour extrapoler, mettre en lumière des vices et des vertus, analyser des idées et, tout simplement, refléter nos sociétés. Il suffit de lire Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (rebaptisé Blade Runner du fait du film éponyme) de Philip K. Dick, ou Le meilleur des mondes de Huxley. Ainsi, l'écrivain français Alain Damasio revendique sans détour des écrits politiques.

Pourquoi ? Tout simplement (et c'est encore un parallèle avec le polar) parce que la démarche s'y prête. Certains le font consciemment. D'autres non, simples (heureuses) victimes d'un effet secondaire.

Des auteurs modernes fascinants

La littérature de l'imaginaire se décline en une multitude de sous-genres. Mais les auteurs les plus intéressants se moquent de coller à une étiquette particulière.

Car si le genre est vieux (nous avons cité Chrétien de Troyes, douzième siècle, et de nombreux auteurs du dix-neuvième), héritier direct des contes et légendes, il est toujours vivace et regorge d'écrivains de qualité.

Des noms sont célèbres auprès du grand public, au point parfois d'avoir dépassé le cadre de la littérature de genre. Certains moins fameux affichent pourtant des ventes impressionnantes, témoins de l'engouement des lecteurs, et surtout un fond et une forme très intéressants. Leur production atypique aux thématiques variées offre en plus un intérêt littéraire certain. Citons Jasper Fforde dont tout l'univers de sa série Thursday Next s'articule autour des livres, de l'édition et de l'écriture.

Beaucoup de ces auteurs revendiquent un engagement politique évident. Nous avons évoqué Alain Damasio dont l'une des nouvelles du recueil de science-fiction Aucun souvenir assez solide décrit un monde dans lequel le lexique a été privatisé.

Parlons aussi de Neil Gaiman avec son Londres souterrain des oubliés dans la fantaisie urbaine Neverwhere.

Du candide (au sens voltairien) héros de Metro 2033 de Glukhovsky qui découvre un monde post-apocalyptique, peinture saisissante de l'Histoire moderne et de la société russes.

Plus récemment, l'uchronie La République des enragés de Xavier Bruce s'articule autour de Mai 68.

Et bien entendu, le trotskiste revendiqué China Miéville utilise aussi bien le polar – comme par hasard - que le fantastique (Kraken) pour articuler sa réflexion.

Certaines situations mises en scène amènent une réflexion parfois dérangeante. Dans Fatherland, Robert Harris narre une enquête dans les années soixante dans un Berlin où l'Allemagne nazie a remporté la guerre et imposé le Reich.

Et la vision post-apocalyptique de la société d'Antoine Volodine dans Terminus radieux fait froid dans le dos sans jamais dérouter le lecteur tant l'inhumanité de ses protagonistes semble humaine.

D'autres se contentent de fournir des éléments de réflexion plus ou moins riches, comme Mira Grand et sa vision de la liberté de la presse et de la corruption politique dans Feed : pour servir son histoire, l'auteure s'appuie sur ses convictions. Si sa démarche est involontaire, elle n'en reste pas moins politique.

Les diables blancs de Paul McAuley offre au lecteur une vision sombre de l'Afrique Noire dans trente ans. Et pourtant on y retrouve de nombreuses similitudes avec les actions de l'Occident sur le continent.

Avec Mallworld, Somtow Sucharitkul dépeint un monde entièrement commercial avec un humour sinistre mordant. Et pourtant, notre société du tout commerciale est-elle si différente que cela ?

Wilson, aussi bien dans l'écologique Julian que dans la trilogie Spin, aborde les thématiques de l'environnement et de la survie de l'humanité. Alors que les problèmes de nourrir l'ensemble de l'humanité et de préserver notre planète sont chaque jour un peu plus brûlants.

Le très anglais Jasper Fforde manie l'absurde avec une rare aisance et un indéniable talent. Fasciné par le monde des livres, il ne se gêne pas pour tout tourner en dérision et emporter le lecteur dans un tourbillon aberrant à la logique pourtant implacable. Bien entendu, la lecture de sa série Thursday Next ou plus récemment de La tyrannie de l'arc-en-ciel s'avère moins innocente qu'il ne paraît : une tyrannie basée sur les couleurs est-elle plus absurde qu'une domination économique, religieuse ou, comble de la sottise, sur la couleur de la peau ?

Toujours dans l'humour anglais, Gail Carriger se révèle une manipulatrice remarquable de la langue et de l'humour à froid dans ses séries Le protectorat de l'ombrelle et Le pensionnat de Mademoiselle Géraldine. Avec une verve goguenarde et un détachement décalé tout british (pourtant l'auteure vit dans les colonies, comme elle aime à le répéter), elle sabre les notions de norme sociale sous un vernis jouissif de littérature pour adolescente à la Twilight. Sabrage volontaire ou simple effet secondaire d'un effet comique recherché, son approche (fantaisiste) des classes, des genres et de la sexualité n'en demeure pas moins fascinante. Et drôle. La question de son engagement reste entière. Mais le plaisir de la lire, lui, est entier.

Certains auteurs proposent simplement des lectures distrayantes et agréables, ce qui est déjà beaucoup et malheureusement souvent dénigré. Le plus connu, Stephen King, souffre malencontreusement d'une traduction qui ne rend pas hommage à son style vif et incisif. Mais son univers reste fascinant, toujours orienté sur les petites gens et la classe moyenne. Le fantastique s'immisce dans la vie de personnes comme tout le monde avec des problèmes de tout le monde. Si la vie militante de King est plus riche que le militantisme de son œuvre, sa peinture étonnante de la société américaine moderne demeure un plaisir de qualité.

À l'inverse, le très réactionnaire Lovecraft a réussi à créer un univers démesuré peuplé de créatures tellement terrifiantes qu'elles en sont généralement indescriptibles. Il vogue au bord de l'abysse de la folie dans un style pompeux. Ses remarques sur les civilisations sont outrancières et intolérables. Pourtant le mythe (celui de Cthulhu et des Grands Anciens) qu'il a édifié a largement dépassé toutes ces considérations pour définitivement influencer la littérature fantastique.

Avec Téméraire, Naomi Novik revisite les Guerres Napoléoniennes dans un monde où les dragons existent. Le lecteur n'en sortira pas forcément beaucoup plus cultivé, mais il aura certainement envie de lire la suite ! Ce qui en soit représente déjà un succès.

La sélection de la Renaissance

Forts de ces constations, les librairies de la Renaissance ont sélectionné un fonds de livres dédiés à l'imaginaire que vous pourrez retrouver en magasin ou sur notre site web. En version poche lorsque cela est possible. Une sélection faite en fonction de notre Histoire et de notre engagement, certes, mais aussi de la qualité des livres, de leur importance littéraire et parfois simplement du plaisir pris à les lire (un critère trop souvent négligé, nous ne le répéterons jamais assez).

Il s'agit donc d'une sélection totalement subjective et loin d'être exhaustive, mais n'est-ce pas l'intérêt de faire confiance à ses libraires ?